Grève des avocats : journée «justice morte» dans les tribunaux
0Plus de 70 barreaux avaient décidé de cesser totalement leurs activités ce mercredi.
Les tribunaux français ont tourné au ralenti mercredi, avec de très nombreux reports d’audiences, des rassemblements, des actions symboliques pour une journée de mobilisation des avocats contre le projet de loi de programmation pour la justice, présenté le même jour au Conseil d’Etat.
Dans son appel à la mobilisation, le Conseil national des barreaux (CNB) avait réaffirmé son opposition au projet de loi de programmation de la justice 2018-2022, et « exige du gouvernement d’être immédiatement associé à la rédaction des projets d’ordonnances et de décrets ».
La concertation brisée
« Nous étions dans une logique de concertation, jusqu’à ce que nous découvrions le projet de loi le 9 mars, qui ne reprend pas des propositions auxquelles nous avions donné notre feu vert », a dénoncé mercredi la présidente du CNB, Me Christiane Féral-Schuhl, à Paris, où le barreau a appelé à la grève.
« Il manque des éléments essentiels, comme le règlement des conflits à travers la médiation […] La déjudiciarisation n’est pas la solution. Avec cette réforme, on retire sa place au juge. Au pénal, on va créer des plateformes de résolution des litiges fondées sur des algorithmes. »
Le projet de réforme de la justice prévoit aussi l’instauration d’un tribunal criminel confiant les crimes passibles jusqu’à vingt ans de réclusion à des magistrats professionnels (au lieu des assises et son jury populaire). Les avocats dénoncent « la fin de la justice du peuple ». « Le viol serait moins grave qu’un autre crime ? » se demande Me Eric Bourlion, le bâtonnier du Val-d’Oise. Il estime que le projet est uniquement économique, « pour gérer la pénurie de magistrats ».
Plus de 70 barreaux en grève
Plusieurs dizaines d’actions avaient été annoncées pour cette journée « justice morte » : plus de 70 barreaux en France ont décidé de cesser totalement leurs activités, selon Europe 1. Etaient prévus des grèves ciblées, des rassemblements devant les palais de justice, des journées voire une semaine entière avec grève totale des audiences durant parfois, comme à Orléans (Loiret), jusqu’au 30 mars, prochaine journée de mobilisation avec manifestations prévues à l’échelon national.
A Pau (Pyrénées-Atlantiques), où le barreau avait été fin 2017 en pointe de la contestation sur la carte judiciaire, les quelques 245 avocats observaient une « grève totale des audiences », sauf celle du procès d’une mère infanticide, dénonçant « une vision purement gestionnaire au mépris des droits fondamentaux ».
A Lyon (Rhône), plus de 300 avocats se sont rassemblés sur les marches de la cour d’appel, où ils se sont allongés dans la salle des pas perdus, comme leurs collègues de Meaux (Seine-et-Marne).
A Grenoble (Isère), où le barreau compte près de 600 avocats, un rassemblement s’est tenu dans la salle des pas perdus « en robe, pour fédérer tout le monde », a déclaré Me David Roguet, bâtonnier.
Le barreau de Lille (Nord) avec ses 1300 avocats a voté la grève générale à l’unanimité. Les 17 bâtonniers de la région Hauts-de-France devaient être reçus en préfecture dans l’après-midi.
A Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), les avocats ont déposé un préavis de grève de toutes les activités civiles et pénales, judiciaires et extrajudiciaires du 21 au 26 mars.
« Justice, si tu savais… »
A Amiens (Somme), des gerbes de fleurs ont été déposées par près de 70 avocats sur les marches du palais de justice, avec des mentions « Défunte justice, les avocats en deuil », ou « Justice si tu savais tout le mal que l’on te fait ».
Lors d’un procès en appel pour coups mortels à la cour d’assises de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), les bâtonniers de Brest et Saint-Brieuc ont demandé le renvoi, contre l’avis de l’avocat général. La présidente a donc commis d’office deux avocats qui ont refusé et quitté la salle. L’audience a finalement débuté avec un seul avocat sur les quatre prévus.
A Dijon (Côte-d’Or), où 300 avocats sont en grève, « 100 % des audiences de mercredi sont renvoyées ou se déroulent sans avocat », a affirmé Me Dominique Clemang, bâtonnier.
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Plus de 300 avocats se sont réunis à Marseille (Bouches-du-Rhône) sur les marches du Palais Monthyon, malgré la neige. Toutes les audiences du jour étaient suspendues, selon Me Géraldine Méjean, vice-présidente de l’Union des jeunes avocats.
Renvoi aussi de la quasi-totalité des audiences dans le Grand Est. Les avocats, comme à Thionville (Moselle), venaient au devant du public « pour leur expliquer les raisons du mouvement et leur signifier que les audiences sont renvoyées », a expliqué Me Marc Monossohn, bâtonnier.
A Paris, 200 avocats se sont rassemblés sur les marches du palais de justice derrière la banderole « Citoyens en danger, justice menacée, avocats en colère ».
A Meaux (Seine-et-Marne), pas moins de 80 avocats se sont allongés dans la salle des pas perdus du palais de justice, pendant une quinzaine de minutes, avant que ne s’ouvre l’audience du tribunal correctionnel. Un cercueil supportant trois bougies avait été installé sur des tréteaux, ainsi qu’une banderole « Barreau de Meaux en colère ».
Le bâtonnier de Quimper (Finistère), Nicolas Josselin, a dénoncé « une concertation fictive », tandis que Jacques Delay, président de la conférence régionale de l’Ouest, parlait de « simulacre de concertation ».