Les essais nucléaires français du Sahara, 60 ans plus tard
0C’est le samedi 13 février 1960 à l’aube que la France procède au premier tir expérimental de son arme atomique au sud de l’Algérie, en plein désert du Tanezrouft, à 700 km au sud de Colomb-Béchar. Il est 7 heures 4 minutes et 20 secondes lorsque le compte à rebours prend fin ; un très violent éclair se substitue à ce qui était jusque-là le sommet de la tour portant l’engin nucléaire au plutonium, puis une énorme boule de feu monte très rapidement dans le ciel, et, alors que le sol est toujours plongé dans l’obscurité, un nuage s’élève dans le ciel, passant successivement de l’orange au mauve, puis au gris bleu.
Quelques jours après le voyage de Nicolas Sarkozy en Algérie, l’ambassadeur de France a révélé que la France n’exclut pas une contribution matérielle pour le traitement des effets des essais nucléaires effectués durant l’époque coloniale.
Comme Benjamin Stora l’a fait remarquer dans un entretien publié le 2 février 2008 dans L’Expression, il s’agit là du troisième geste significatif, après la remise à l’Algérie de la carte des mines posées aux frontières tunisiennes et marocaines, et la restitution à l’Algérie d’archives audiovisuelles de l’INA de la période 1940 – 1962. « Il faut prendre acte de ces petits pas, poursuit l’historien, pour dire : pourquoi ne pas élargir la chose ? »
La France n’exclut pas l’option de l’indemnisation des victimes
par Rabah Beldjenna , El Watan, 25 décembre 2007
Bien qu’aucun bilan n’ait été établi, le nombre de victimes des essais nucléaires aériens ou souterrains effectués au Sahara augmente inexorablement, souvent dans l’anonymat.
La France n’exclut pas une contribution matérielle pour le traitement des effets des essais nucléaires effectués durant l’époque coloniale en Algérie. C’est ce que révèle Son Excellence, l’ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, dans une déclaration, rapportée hier par notre confrère Echourouk, qui affirme l’envoi dans ce cadre d’une équipe d’experts sur les lieux des explosions pour enquêter sur les dégâts causés aux habitations. Le diplomate français a précisé que son gouvernement réagira en fonction des résultats des enquêtes. Il a cependant révélé que le président Sarkozy a demandé à son homologue algérien, lors de sa visite d’Etat qu’il a effectuée début décembre, de séparer le dossier des essais nucléaires de Reggane de la coopération dans le domaine du nucléaire civil.
Autre révélation de M. Bajolet, le président Sarkozy a proposé à M. Bouteflika, selon lui, « la prise en charge médicale des victimes des mines antipersonnel implantées en Algérie à l’époque coloniale ». Il reste que si la France a attendu 45 ans après pour révéler l’implantation des mines antipersonnel posées le long de nos frontières, aucune cartographie des sites des dépôts des déchets radioactifs n’a été fournie à l’Algérie à ce jour. Paris refusait toujours d’ouvrir ses archives militaires concernant ce contentieux, sous prétexte d’un prétendu « secret défense » ou en évoquant ses engagements vis-à-vis du TNP. Pourtant, ces essais nucléaires ont eu de graves conséquences sanitaires et écologiques dans le sud du pays, d’où cette exigence d’ouverture des archives de l’armée française en vue de connaître la vérité.
Les essais nucléaires aériens ou souterrains effectués au Sahara ont produit de grandes quantités de déchets, enfouis seulement à quelques centimètres de profondeur, et fait beaucoup de victimes. Leur nombre augmente inexorablement, souvent dans l’anonymat. A ce jour, aucune liste n’est établie. L’absence de dépistage et d’archives sanitaires occulte les innombrables maladies comme le cancer et les décès entraînés par les radiations. Les victimes ne sont pas seulement les habitants des zones où les expériences ont eu lieu, mais même ceux se trouvant loin de cette zone.
La France coloniale a effectué son premier essai en Algérie le 13 février 1960 à Reggane sous le code « La Gerboise bleue ». Selon des chercheurs algériens, 17 essais nucléaires au total ont été menés par la France au Sahara, dont 4 à Reggane, entre 1960 et le retrait définitif de l’armée française de cette région en 1967. On estimait à au moins 30 000 victimes algériennes de ces expériences. Le dossier des essais nucléaires français en Algérie a été ouvert en 1996. Mais depuis cette date, rien ou presque n’est fait pour se débarrasser de ce legs empoisonné. La France devait pourtant prendre sa responsabilité juridique. Outre l’aide technique qu’elle est en devoir de fournir en matière de décontamination, elle doit ouvrir ses archives, mettre des noms sur tous les lieux secrets où les bombes avaient explosé.Rabah Beldjenna
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Les essais atomiques français dans le Sahara ressortent
par Jean-Dominique Merchet, Libération, 5 décembre 2007
Ces tirs réalisés entre 1960 et 1966 dans le cadre des accords d’Evian pourraient créer à leur tour des tensions.
Repentance, version nucléaire ? Les autorités algériennes sont tentées de faire des dix-sept essais nucléaires français dans le Sahara entre 1960 et 1966 un sujet de contentieux avec Paris. En février dernier, un colloque s’est ainsi tenu à Alger, « sous le haut patronage du président Bouteflika », pour demander « réparation à la partie française de toutes les séquelles causées par ses essais au Sahara algérien ». La rencontre était organisée par le ministère des Anciens combattants, dont le titulaire, Mohamed Chérif Abbas, vient de tenir des propos antisémites à l’encontre du président Sarkozy.
« Annexes secrètes ». Pour les autorités algériennes, l’affaire des essais français est cependant très délicate. D’un côté, il s’agit bien d’un héritage de la colonisation française, puisque les deux sites de Reggane et d’In Eker ont été construits avant l’indépendance du pays. Les six premiers tests – dont quatre dans l’atmosphère – ont eu lieu à l’époque de l’Algérie française. Mais lors des accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie, le 18 mars 1962, le FLN (Front de libération nationale) a accepté, dans le cadre d’« annexes secrètes », que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires. Onze essais se sont ainsi déroulés après l’indépendance du 5 juillet 1962 et ce, jusqu’en février 1966. En 1967, « les sites ont été rendus aux autorités algériennes après démontage des installations techniques, nettoyage et obturation des galeries », assure le ministère de la Défense.
Libre accès. Nettoyage ? La visite, mi-novembre, d’un groupe de militants antinucléaires français montre que les sites sont en libre accès et restent truffés de débris métalliques. Pour Bruno Barrillot, responsable du Centre de recherche sur la paix et les conflits, « les installations n’ont pas été démantelées dans les règles. Mais les destructions et récupérations anarchiques ont apparemment aussi été le fait d’unités militaires algériennes ». Les populations locales ont aussi pillé les sites pour récupérer des métaux. A la mi-novembre, des travaux d’installations de clôtures étaient en cours, selon les recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui a inspecté les sites en 1999. L’agence avait conclu à la faiblesse des risques, sauf dans quatre zones, qui doivent être interdites d’accès.
Alors qu’en France les vétérans des essais commencent à faire valoir leurs droits devant les tribunaux [1], Bruno Barrillot souhaite la mise en place d’un suivi sanitaire des populations locales, comme en Polynésie. Après quarante ans de silence complice entre Paris et Alger.
Jean-Dominique Merchet
Les oubliés de Reggane
par A. A., El Watan, 13 février 2007
Au total, 17 expériences ont été effectuées par la France coloniale sur le sol du Sud algérien, dont quatre explosions de bombes atomiques à la surface du sol à Reggane. La plus puissante était celle de 117/127 KT en février 1965. Ainsi, dès 1984, sont apparus des cas de leucémie et de cancer dans la région.
Cependant, aucune statistique officielle n’existe pour évaluer le taux de radioactivité et des personnes contaminées. Dans la région de Reggane, les radiations sont toujours présentes et menaçantes. C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que la France a lancé son programme nucléaire avec le fervent désir de concevoir sa propre arme à destruction massive, et de là, obtenir le statut de puissance mondiale aux côtés des USA, de l’Angleterre et de l’ex-URSS. Alors, un commissariat à l’énergie atomique a été créé par le général de Gaulle, le 8 mai 1945, qui avait pour mission la conception de la bombe atomique. Selon la publication du centre national d’études et de recherches sur le mouvement national et la révolution du 1er novembre 1954, sur les essais nucléaires français en Algérie, la conception de la bombe atomique s’est effectuée en trois phases échelonnées sur quinze ans. La première étape, de 1945 à 1951, a été consacrée aux études scientifiques et techniques. La seconde, en 1952, a permis la mise sur pied d’un budget spécial pour le soutien logistique et le programme d’acquisition du plutonium. La dernière étape, à partir de 1955, a abouti à la construction de la bombe atomique en collaboration avec le ministère des Armées et le Commissariat à l’énergie atomique pour le lancement des travaux d’expérimentation, suite au refus des USA et de l’Angleterre de lui fournir les renseignements relatifs à la bombe. C’est le Sahara algérien, plus précisément Reggane (150 km au sud d’Adrar) qui a été choisi comme champ d’expérimentation. Cette décision a été prise en 1957 par de Gaulle. L’installation de la base des essais atomiques a été confiée à la 2e compagnie de l’armée française qui a dressé son PC à Hamoudia, une localité située à 65 km au sud de Reggane.
Séquelles indélébiles
Cette opération a mobilisé 6500 Français, entre chercheurs, savants, ingénieurs et soldats, ainsi que 3500 Algériens, de simples ouvriers, avec une majorité de détenus. La première, de 70 kilotonnes, le 13 février 1960, à Hamoudia, celle inférieure à 20 kilotonnes, le 1er et le 4 avril 1960, et une autre supérieure à 20 kilotonnes, le 25 avril 1961. Et puis 13 autres explosions, mais souterraines cette fois-ci, au Sud-Est algérien, à In Ikker (région de Tamanrasset), du 7 novembre 1961 au 16 février 1966. Ces expériences atomiques ont contaminé de vastes zones entre l’Algérie et le Tchad, selon certaines publications, et ont laissé des traces indélébiles sur la nature et les humains. Des mesures ont été prises par les services de l’environnement qui confirment cette présence, avec un pic au point zéro. Cependant, des relevés topographiques ont été effectués sur le terrain et une clôture de 12 kilomètres linéaires, avec des panneaux de signalisation, est prévue pour matérialiser cette zone dangereuse. Selon M. A. Ksasi, président de l’association 13 février 1960, agréée en 1997 à Reggane et qui compte près de 300 adhérents, les séquelles sont encore perceptibles sur certaines personnes qui apportent leur témoignage. Cette association souffre du manque de moyens pour pouvoir poursuivre ses recherches dans ce domaine.
Le premier mai 1962 les Français ont effectué un essai nucléaire souterrain à In Ecker, au Sahara. Le tir fut effectué dans une galerie creusée dans un montagne, en forme de spirale, bouchée par du béton armé. Lors de l’explosion, le système d’obturation céda sous la pression. Il y eut rejet de matériaux radioactifs, gaz et des poussières radioactives, à l’extérieur. Les deux ministres présents furent irradiés : Pierre Messmer, ministre des Armées, et Gaston Palewski, ministre de la recherche, qui mourut d’une leucémie. Cette photo a été prise quelques instants après la mise à feu. [2]
[1] Notamment l’association des Vétérans des essais nucléaires (AVEN) :
http://www.aven.org/.
[2] Référence :
http://www.jp-petit.org/Divers/Nucl….
Source: www.histoirecoloniale.net